mardi 29 août 2006

La fuite de Sodome et Gomorrhe 1


Ah qu'elles ont été longues les minutes avant les retrouvailles. Ah qu'elles ont été interminables ces images vues et revues floues et mal cadrées. Ah qu'elles ont été lentes les secondes avant l'explication finale. Ah qu'elles ont été fastidieuses ces interviews zyeux dans les zyeux à la lueur du feu de camp pour "faire le bilan de l'aventure". Parce que du bilan, il y en a. Du bon bilan, du gros bilan. Ben oui je voulais savoir moi aussi, qu'est-ce qui va lui "mettre la honte" à Harry comme ça, comme on nous le promet depuis des semaines.

Il a donc fallu attendre. Et avant cela, se coltiner tous les "rendez-vous de toutes les tentations", oui les rendez-vous où on vous emmène dans un endroit magnifique pour passer un jour et une nuit, mais oh dis donc, il n'y a qu'un seul lit dans cette chambre comment va-t-on faire ? Et là ce n'est plus de la tentation, ce n'est plus de l'égarement, ce n'est plus du débordement, ce n'est plus du dévergondage, c'est le 6 juin 1944, le débarquement des troupes alliées, la fin du régime de Vichy, la débâcle des troupes du Reich, la fin de l'occupation, la rupture avec la 3ème République. Bref, c'est la Libération. Avec un grand L. Et vive De Gaulle (oh oui bon). L'offensive amphibie sur les plages est d'envergure, et malgré la défense acharnée, la lutte est coriace, mais la ligne de front est percée et la pénétration sur le territoire est rapide, la capitulation est proche. L'opération est un succès, la reddition est inconditionnelle. Harry, comme il l'a si bien dit (je ne saurais faire mieux), va enfin pouvoir "planter le drapeau". Ah c'est beau les grands moments de l'Histoire.

Mais commençons par le commencement. Car en effet, pour Mélanie et Raymond, le succès est éclatant. Mais avec autant de gel dans les cheveux, un t-shirt "God is a Rock Star" noir et rose, et une nappe panthère sur la table du dîner, on ne peux pas lutter longtemps. C'est gagné d'avance (ou perdu, je ne sais plus). L'arme secrète de Raymond ? "C'est quelque chose qu'elle n'a pas eu auparavant, toutes ces attentions vis-à-vis de son couple". Euh ? Quoi ? Bon Ok, ça doit être autre chose son arme secrète. "C'est le moment d'être un peu plus en intimité tous les deux". Oui voilà, l'intimité, très bien l'intimité. (Au fait, intimité ça veut dire être filmé derrière un poteau et être sous-tiré quand on parle). Et hop, stop la parlote.

Au feu de camp final, Mélanie aura ces paroles touchantes : "J'avais besoin de réconfort, il était là. J'ai vraiment appris à le connaître. Et il a vraiment essayé de me connaître intérieurement. Vincent ne sait toujours pas comment je fonctionne au fond". Oulah... tous ces détails scabreux me donnent à penser que Raymond doit vraiment avoir une arme secrète.

Pour Vincent et Shanice, la victoire est plus limitée. Vincent est toujours aussi content. Mais un poil impatient quand même. Pour ne pas dire qu'il n'en peut juste plus. "Il faut passer au stade supérieur". C'est joliment dit. Mais de l'autre côté (ah ben oui parce que le stade supérieur tout seul c'est moins marrant), c'est plutôt des phrases passe-partout bien pratiques pour faire patienter et qui ne veulent rien dire du genre "on ressent une intimité très forte" ou "on pourrait peut-être même parler d'une relation". En gros, Shanice ne sait plus quoi inventer comme excuse pour que la cocotte-minute ne lui explose pas à la figure et dit des trucs qu'elle pourrait dire à son bac de géraniums, mais avec ce petit air sur le visage, le même qu'on a quand on s'apprête à manger une délicieuse purée de pommes de terre maison mais qu'on se rend compte que c'est de la purée de brocolis.

Bref Vincent est de plus en plus lourd, et Shanice est payée pour sourire (et ça fait mal aux joues) en toute circonstance : "Tout est fait pour qu'il y ait un grand amour qui se crée... je lui ai dit que j'étais attaché pour elle (sic), que elle me donnait cette excitation tout le temps qui était non stop... je me suis dit c'est la fin, c'est la fin de l'aventure, voilà je me lâche". Et pourquoi pas "j'ai les pommes de terre au fond du panier" aussi pendant qu'on y est ? En tous cas, le message est clair, le chemin est bien fléché, l'enseigne est allumée, elle clignote et la boutique est ouverte. "Je sens qu'elle a envie de vraiment beaucoup se lâcher, mais elle a encore un peu de mal". Euh oui, enfin c'est surtout lui qui a du mal là, car ça souque ferme. Même l'artillerie lourde du magnifique "tu sais j'ai oublié ce... ce... ce couple que j'ai fondé pendant un an" ne semble pas être l'accessit au fameux stade supérieur. Mais quand tout est perdu, rien n'est perdu, la cocotte-minute siffle toujours : "Je lui ai dit qu'elle me manquait déjà alors qu'on s'est pas encore quitté mais j'anticipe, j'anticipe, j'anticipe le manque et voilà les plaisirs charnels ça me manque déjà". Shanice sourit. Bref c'est mort mais Vincent est content.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, les explications lors du feu de camp final seront un tout petit peu plus nuancées. Plus de "j'ai cette excitation non stop", mais plutôt "elle a vu des images où les filles me provoquaient, y avait vraiment rien de mal, y avait vraiment rien de mal hein !". Vincent, qui, pour paraître plus crédible avait pris pour l'occasion son plus beau chewing-gum, et qui écoute toujours Céline Géraud avec ce regard semblant vouloir dire "mais bon sang est-ce qu'elle me parle en javanais ou en swahili oriental, je comprends pas tous les mots ?", a donc eu un peu de mal à tenir le débat. Ben oui quand on commence par "le but c'était qu'elle ait confiance en moi", c'est déjà très mal barré.

La rencontre entre les deux futurs exs s'est donc soldé par un bel échange de noms de fruits et légumes : -"Faux ! Menteuse ! Quoi, j'ai j'ai l'air d'un concombre ? J'ai l'air d'un poireau moi ? D'où tu me dis que je suis un déchet ?" -"Non, t'es une anguille !". D'ailleurs, Vincent exprimait ses vives inquiétudes quant à l'issue de cette entrevue quelques minutes avant : "Si la femme en face de vous (i.e. Mélanie) n'a pas assez de classe pour se retenir, vous imaginez Céline ?". Car Vincent aime la classe. La classe A, la classe S, et toutes les Mercedes en intérieur cuir. D'ailleurs, ça ne lui a pas échappé en voyant Shanice : "C'est une fille très sexy, très provocatrice, qui pouvait inspirer la classe aussi." Dommage, nous n'avons pas eu les images.

Et pour conclure ce bel échange tout en pudeur retenue et en habileté rhétorique, Vincent en appelera à la grâce présidentielle : "Mais moi jamais je me permettrais de dire ça sur toi, devant Céline, devant le Premier Ministre, devant Jacques Chirac !". Oui donc là effectivement, il est grand temps de quitter L'Ile de la Tentation chacun de son côté et de dormir un peu.

Illustration : La famille de Loth quittant Sodome, conduits par des anges, de Rubens (1625, Musée du Louvre, Source : http://www.insecula.com/)

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